Cahiers de philosophie de l'université de Caen, n°44/2008

Luvre de Tocqueville fut crite sous la proccupation constante dune seule pense: lavnement de la dmocratie. Avnement au cours duquel, par des voies sinueuses et obscures, la socit, selon ses propres termes, change de forme, et lhumanit de condition. Avnement au cours duquel une humanit, en se dprenant peu peu de sa structuration hirarchique, souvre progressivement une exprience neuve de lautre comme semblable, et est du mme coup attire vers deux directions diamtralement opposes, comme si elle tait tiraille dun ct par lvidence de sa destination exclusivement sensible, et dun autre ct par la conviction dune destination suprasensible. Dun ct, le repli sur soi dindividus essentiellement mus par leurs intrts bien entendus, exclusivement mobiliss par la recherche du bien-tre; de lautre une interrogation renouvele et un dbat collectif sur la distinction du juste et de linjuste, du lgitime et de larbitraire. Dun ct, une atomisation qui engendre un conformisme gnralis, de lautre le pouvoir dassumer sa propre libert, reconnu comme un droit de chacun et non plus comme un privilge. Dun ct, une humanit qui ne se laisserait dterminer que par des mobiles empiriques, de lautre une humanit devenue sensible lide dune dignit de lhomme comme tel. Dun ct, une humanit prisonnire des vidences dmocratiques, de lautre une humanit ouverte aux nigmes que la dmocratie a fait natre en son sein. La dmocratie, daprs Tocqueville, nest vivante que dlivre de ses propres vidences. Cest prcisment ce quentend suggrer le titre de cet ouvrage