By the rivers of Babylon

Kei Miller

Zulma

  • Conseillé par
    9 décembre 2017

    L'histoire que nous conte Kei Miller prend sa source dans une vallée jamaïcaine où les esclaves affranchis se réfugièrent le matin de l'émancipation en 1838, Ce qui fut jadis un paradis verdoyant est devenu un ghetto de la banlieue de Kingstown où vivent des petites gens qui, s'ils ont été débarrassés des chaînes de l'esclavage, restent toujours victimes des clivages ethniques et sociaux marqués par les persécutions policières.
    En fait, plusieurs histoires s'entremêlent dans ce récit qui navigue entre deux époques. Le fil d'Ariane guidant le lecteur à travers elles est tenu par une vielle femme rasta portant des locks et fumant de la ganja.
    En racontant à son petit neveu l'incroyable exploit du pasteur Alexander Bedward, elle remonte le temps jusqu'à son enfance, quand elle n'était qu'une "tifi "( petite fille en créole) qui a vu de ses propres " zyeux "celui qui, par son pouvoir de lévitation entendait libérer le peuple du joug colonial. C'est en quelque sorte la naissance du mouvement rastafari en Jamaïque qu'elle évoque. En parallèle se noue une tragédie, un mystérieux "autoclapse", créant dès le début une tension dramatique intense, tension qui ne se relâche jamais. Le procédé est efficace et ferre impitoyablement le lecteur qui ne peut plus abandonner cette histoire.
    J'avais quelques craintes avant d'entamer ma lecture car je me suis plusieurs fois cassé les dents sur des textes publiés par ma maison d'édition préférée. Elles se sont vite évanouies devant la simplicité de l'écriture de Kei Miller et la saveur des dialogues, pimentée et colorée qui fleure bon la Caraïbe.
    Le titre de ce roman, tiré du Livre des Psaumes ( "Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion"), fait référence aux racines bibliques du rastafarisme. Si malheureusement il nous rappelle un tube disco, l'ambiance du roman est plutôt proche de celle des chansons de Bob Marley qui invitent le peuple à se battre pour ses droits à travers des thèmes aussi fondamentaux que la politique, l'esclavage, la religion et la pauvreté.


  • Conseillé par
    29 septembre 2017

    Foisonnant, puissant. Une bouffée d'air jamaïcain, pas toujours très sain, pas toujours empli de bonnes odeurs mais tellement revigorant.

    C'est d'abord une plongée dans le rastafarisme, avec ses "créateurs", Marcus Garvey, Leonard Percival Howell, mais aussi avec les croyants. Kei Miller parle de la société jamaïcaine, les ghettos, les noirs, les plus pauvres et les plus clairs jusqu'aux blancs, les plus riches qui habitent les hauteurs de Kingston, Beverly Hills. En partant de ce que nous pourrions, nous Occidentaux, qualifier d'incident, la coupe des dreadlocks de Kaia, le romancier bâtit un roman sur son pays, ses pratiques religieuses, l'histoire d'icelles et la difficulté de vivre pauvre en Jamaïque en même temps qu'une certaine joie de vivre malgré les manques. C'est donc un roman hautement instructif sur un pays assez peu décrit dans les livres, si ce n'est pour parler de reggae et de Bob Marley ou maintenant des sprinteurs tels Usain Bolt, mais ce serait le résumer trop vite que de se cantonner à cela. Kei Miller n'écrit pas non plus un manuel de l'histoire de son pays, c'est par petites touches qu'il procède et par paraboles, par transmission orale de Ma Taffy à Kaia. D'où une vraie explosion de la langue, des néologismes, des onomatopées érigées en substantifs, quasiment à toutes les pages. L'une de ces inventions qui m'a le plus plu est la suivante : "Certains étaient allés à la rivière dans le but de prouver que Bedward était un menteur et que ses paroles n'étaient que des fadaises-ablabla mais lorsqu'ils ressortaient de l'eau, frais et dispos, guéris de douleurs dont ils n'étaient même plus conscients, ils se muaient en convertis des plus démonstratifs." (p.90). "Fadaises-ablabla", je l'ai notée, mais ouvrir le livre à n'importe quelle page, c'est avoir la chance de tomber sur tel ou tel dialogue aussi coloré. Non pas d'ailleurs que ce roman soit très dialogué, ce sont plus des histoires racontées, des monologues ; je mesure la difficulté en même temps que le plaisir que la traductrice (Nathalie Carré) à dû prendre à travailler sur ce texte.

    Kei Miller a un talent fou pour raconter des histoires, pour nous transporter loin et décrire des personnages forts et attachants, même les moins recommandables ont une part d'humanité sous-jacente ou clairement exprimée. Il sait les mettre dans des situations qui les rendent faibles ou forts, dans des moments où leur destin bascule parfois pour un simple geste malheureux. Il ne juge pas et le lecteur ne se sent donc pas pris en otage par le romancier qui lui dirait comment percevoir untel ou untel. Un excellent roman, le deuxième de l'auteur, après L'authentique Pearline Portious, paru en 2016, déjà chez cette très belle maison qu'est Zulma, que je n'ai pas lu, mais d'ores et déjà, je l'ai noté.

    PS : et ce titre, qui, invariablement fait venir en tête la chanson...