Tentative d'epuisement d'un lieu parisien

Georges Perec

Christian Bourgois

  • Conseillé par
    6 novembre 2020

    Les vendredi 18, samedi 19 et dimanche 20 octobre 1974, Georges Perec s'installe place Saint-Sulpice à Paris. Il note tous les événements a priori anodins qu'il voit. Des gens, des voitures, des bus, le temps, ce qu'il mange et boit... Cette place d'une grand ville devient pour trois jours un lieu d'observation privilégié du rien ou du presque rien.

    Publié en 1975 et réédité cette année par le même éditeur Christian Bourgois, ce très court livre pourrait paraître anodin voire insignifiant, oui mais c'est écrit par Georges Perec et ça change tout. Ça change tout parce que l'écrivain y imprime sa patte, son style inimitable pour parler du quotidien. Grâce à cela, ce qui pouvait inspirer la crainte de l'ennui résonne comme un poème à la Prévert, une sorte de carnet d'idées et de personnages de romans. Un plan détaillé d'un futur roman. Tout cela en même temps et un vrai livre à part entière qui, dans le style Perec, joue avec les mots et leurs sons, les phrases. Le premier chapitre, le premier jour, est assez long, plus long que les suivants, moins rythmés ouiquende oblige.

    Là où n'importe qui aurait écrit une litanie, Georges Perec qui n'est pas n'importe qui et qui excelle dans l'écriture avec contrainte offre une variété de styles incroyables dans un si petit bouquin. Pour ceux qui hésitent encore à entrer dans le monde de l'écrivain, c'est une porte qui me semble toute indiquée. Et pour finir un extrait de la page 29 :

    "J'ai revu des autobus, des taxis, des voitures particulières, des cars de touristes, des camions et des camionnettes, des vélos, des vélomoteurs, des vespas, des motos, un triporteur des postes, une moto-école, une auto-école, des élégantes, des vieux beaux, des vieux couples, des bandes d'enfants, des gens à sacs, à sacoches, à valises, à chiens, à pipes, à parapluies, à bedaines, des vieilles peaux, des vieux cons, des jeunes cons, des flâneurs, des livreurs, des renfrognés, des discoureurs. J'ai aussi vu Jean-Paul Aron, et le patron du restaurant "Les Trois canettes" que j'avais déjà aperçu le matin."

    Excellente idée de Christian Bourgois de rééditer ce texte qui est mon Perec de l'année.


  • Conseillé par (Libraire)
    12 juin 2020

    Ah !... s'assoir Café de la Mairie, place Saint-Sulpice et lire ce livre en faisant remonter son regard de la Rue Bonaparte à l’Église en passant par la fontaine. Je ne me suis jamais autant senti parisien qu'en ces heures là. Les années 80 finissaient, la tontonmania sévissait. Longtemps, je suis sorti du métro Saint-Sulpice et j'allai en terrasse tuer quelques heures, à quelques mètres de mes lieux fantasmés : au 66 était le siège de la revue A Suivre, au 70 celui des éditions Repos qui, avant d'éditer chroniques et musiques religieuses, avait édité, à Digne, le dictionnaire d'Honnorat, les Annales de la Société Scientifique et Littéraire des Basses-Alpes et les mémoires du Charavani. Alors quand la pollution, le froid poisseux, le rance du café, le froid tabac des cendriers me manquent, je prends cette tentative et j'épuise mes souvenirs le cul dans le thym et le romarin de mes collines face offerte à la béance de la Durance.