Je viens

Emmanuelle Bayamack-Tam

P.O.L.

  • Conseillé par
    8 juillet 2015

    TROIS VIES TROIS FEMMES ET MALENTENDUS

    Il y a une histoire, une histoire de famille, et des histoires, des personnages, des sentiments et du ressentiment, de l'étrange, de l'amour et de la jalousie.
    Au travers d'une saga familiale, Emmanuelle Bayamck-Tam, nous propose de nous plonger sur le regard de l'autre, de nous déranger quelque part car que faisons-nous sinon interpréter certaines situations ou certaines paroles pour broder notre histoire ?
    D'où un chemin de vie excusable, vivable ou un véritable malentendu, et c'est le cas pour ces 3 femmes et 3 générations, Nelly la grand-mère ancienne star adulée au physique avantageux, Gladys , la fille légitime qui a basé sa vie sur un malentendu, et Charonne, la fille adoptée, conséquence de toutes ces perturbations...
    Trois personnalités et des quiproquos et des vies gâchées, on pourrait dire à ce sujet "j'ai le regret de vous annoncer que toute votre vie est dévoyée et que vous avez pris un mauvais départ !!!"
    Ce sont trois personnages forts car leur façon de penser et d'agir les rendent responsables de leur destin, et cela nous renvoie à nos propres vies et comment savoir si l'on prend la bonne décision et que pense autrui ?
    Ce roman nous amène à nous poser de grandes questions et nous divertit à la fois, on voyage dans le réel et dans l'irréel, au travers de personnages mystiques, de contes et d'Histoire, et de questions telles que "et si...", comme Gladys qui aurait pû vivre différemment si elle n'avait pas fait cette rencontre et si l'on ne lui avait pas présentée cette presque jumelle sous le couvert "elle s'appelle Gladys", certainement qu'elle n'aurait pas été aussi dure avec elle-même ensuite ni avec son entourage et certainement qu'aujourd'hui elle serait différente ... mais échappe t'on à son destin ?
    Nelly, Gladys et Charonne vont vous faire part de leur vision de la vie, chacune à leur tour et dans des situations similaires et c'est édifiant de singularité et de réalisme à la fois...
    Un beau voyage au pays des chimères et en soi...


  • Conseillé par
    1 avril 2015

    Reprenons dans le calme la composition de la famille : Nelly et Charlie sont mariés et ont recomposé une famille avec leurs enfants respectifs, Gladys et Régis qui eux-mêmes se sont mariés et ont adopté Charonne. Une sorte de famille recomposée qui se referme sur elle-même. La seule ouverture est l'adoption de Charonne qui débouche sur un échec.


    Une fois que cela est dit, je dois dire ma difficulté à parler de ce livre qui m'a tour à tour plu, déçu et agacé voire faché. L'écriture est surprenante, faite de belles phrases usant d'un vocabulaire riche parfois savant ; mais on peut passer aussi à des propos grossiers, insultants et racistes tenus par Charlie notamment. Je ne soupçonne pas l'auteure de racisme ordinaire mais certaines phrases me font bondir : "Je transpire. C'est ce qui arrive fréquemment aux petites filles quand elles sont grosses et noires..." (p.14) -pour moi, aussi con que de dire que tous les noirs courent vite et qu'ils ont le rythme dans la peau-, ou d'autres pires, franchement dégueulasses qui transcrivent les idées de Charlie totalement désinhibé avec l'âge et la maladie ; j'imagine qu'elles sont là pour dénoncer le racisme, mais trop c'est trop, on peut comprendre à moins*. De même l'auteure fait de multiples retours sur des situations par le jeu des différentes narratrices, sans rien y ajouter comme si ses lecteurs étaient atteints d'Alzheimer et qu'il fallait leur ressasser sans cesse. Je préfère un écrivain qui fait confiance à son lectorat. On me reprochera sans doute mon manque d'humour et de second degré face à une auteure qui fait de la provocation et ce dès le tout début de son ouvrage : "L'un des grands avantages de la négligence parentale, c'est qu'elle habitue les enfants à se tenir pour négligeables. Une fois adultes, ils auront pris le pli et seront d'un commerce aisé, faciles à satisfaire, contents d'un rien." (p. 11). Je travaille auprès d'enfants confiés à l'Aide Sociale à l'Enfance, que ne lisent-ils ces propos, ça me simplifierait mes journées...

    Pouf pouf, je me calme et je reprends par ordre d'apparition. Charonne est une jeune fille attachante, un personnage fort et puissant qui sans nul doute réussira sa vie telle qu'elle l'entend. Elle est sans doute à peine crédible, une enfant doublement abandonnée ne le vit pas aussi bien, mais bon chaque individu est différent, alors peut-être sa force de caractère lui permet-elle la résilience. Elle vit bien sa couleur de peau et son surpoids, en joue même. Elle sait qu'elle n'est pas aimée par ses mères biologique et adoptive et se retourne donc vers sa grand-mère, Nelly. Celle-ci a été follement aimée par Fernand son premier mari et le père de Gladys qui, loin d'être un Apollon était un amant prodigieux et également celui qui a fait d'elle une vedette de cinéma. A la mort d'icelui, elle tombe follement amoureuse de Charlie, beau comme un dieu, mais piètre amant. A 88 ans Nelly fait un point final sur sa vie qui ces dernières années a changé grâce à Charonne. Quant à Gladys, elle n'aime personne sauf son mari Régis. Mal-aimée, revancharde, égoïste, c'est une femme qui a toujours souffert.

    La jalousie, l'égoïsme, la solitude, l'amour, la mort, les relations mères-filles sont en plein cœur de ce roman dans lequel E. Bayamack-Tam ajoute aussi des personnages virtuels, que chaque femme voit dans le bureau de la maison familiale, des personnages rêvés, des hommes qui leur permettent de vivre, de faire le point sur leur vie, de s'intéresser aux autres. C'est un roman sur une famille qui dysfonctionne, une famille handicapée du lien maternel et paternel.

    Je finis mon billet sur ce roman qui ne laisse pas indifférent, qui se répète trop, souffre de longueurs, associe une langue très personnelle à des propos parfois à la limite de l'overdose parce que trop rabâchés, qui met en scène des femmes blessées, fortes et/ou en pleine interrogation sur le sens de leurs vies. Autant de points positifs que de négatifs. Je vous l'avais dit, je ne sais par quel bout prendre ce livre...

    Dans un genre différent mais parlant de certains des thèmes évoqués ici, j'ai préféré Reproduction, de Bernardo Carvalho, moins racoleur.

    * Cette parole qui se libère en ce moment à la faveur de la montée du FN m'exaspère au plus haut point. Je ne suis pas pour ce qu'on nomme le politiquement correct, mais franchement, certains propos m'énervent comme de dire que les petites filles grosses et noires transpirent et puent... Je vis quotidiennement avec deux garçons noirs qui me rapportent des propos tenus dans les cours d'école qui me sidèrent, du racisme quotidien qui n'a rien à voir avec les petites vacheries entre enfants, c'est beaucoup plus profond que cela ; ou alors ma grande naïveté m'avait jusqu'à maintenant -j'approche quand même de la cinquantaine !- épargné, pourtant il ne me semblait pas avoir vécu dans du coton loin des réalités...


  • Conseillé par
    4 janvier 2015

    Charonne a été adoptée à l'âge de cinq ans par Régis et Gladys. Mais au bout de quelques mois ils s'en débarrasser. La ramener comme si elle était un objet qui ne convient pas. Pourtant, ils savaient qu'elle était noire mais Charonne a grossi et ne cesse de manger.
    Elle évolue entre un grand-père raciste qui l'amène avec elle pour effectuer le tour des bars où elle encaisse toutes sortes de remarques et une grand-mère Nelly qui vit dans dans son passé d'artiste.

    Car ses parents adoptifs Régis et Gladys sont toujours absents, voyageant aux quatre coins les éloignés du monde à la recherche d'un mode vie en accord avec leurs principes. Seule Nelly s'occupe vraiment de Charonne surtout qu'elle lui permet de rattraper ce qu'elle raté avec sa fille.
    Charonne qui indiffère Gladys possède de la pétillance et tant pis si son teint d'ébène, ses origines dérangent.Elle grandit et continue de grossir alors que Nelly et Charlie vieillissent.

    Les trois femmes de la maison prennent tour à tour la parole dans ce roman. Les récits se recoupent mais chacune a sa vérité. Gladys reine des contradictions et dont les pensées frôlent le délire alors que Nelly regrette sa vie passée. Charonne s'épanouit malgré tout et cherche le bonheur des autres avant le sien.

    Dans une écriture très recherchée et exigeante, Emmanuelle Bayamack-Tam nous entraîne dans ce roman qui s'attaque au racisme, aux parents démissionnaires face à leurs enfants ou à vieillesse de leurs ascendants. Prenant des chemins où la poésie s'invite tout comme les références aux poètes ou à des écrivains et dans une langue souple, ce roman est à part. On y navigue de la réalité aux regrets amers ou aigris et l'on découvre pourquoi Charonne a été adoptée.

    Il est difficile de résumer ce livre, de tenter de le contenir dans quelques phrases alors qu'il se déploie avec grâce et sensualité tout comme Charonne.
    J'ai cependant un bémol lié à la présence des fantômes qui occupent le bureau et qui m'est apparue un peu étrange.

    Moins envoûtant que Si tout n'a pas péri avec mon innocence, ce roman dérange tout comme on reste stupéfait par son étrange beauté.