L'Échappée belle

Œuvre atypique que celle Jean Claus, singulière non seulement par l’ancrage régional de celui qui tient obstinément son Journal d’un Vosges-trotter tout en aquarelles, mais aussi et surtout par l’orientation baroque de sa peinture et de sa sculpture. Tableaux de couples nus s’égayant dans des cieux pastels avec autant de naïveté mais davantage de sensualité que les personnages de Chagall ; statues acrobatiques de corps androgynes en suspension ; « reliquaires » présentant des figures d’anges exterminateurs sexués armés de mitraillettes ; vaisseliers, autels domestiques, oratoires… : c’est dire que la visite d’atelier – ou de « garde-meuble », selon le mot de l’artiste – à laquelle nous convient les textes brefs de Jean-Claude Walter équivaut à une exploration de l’inclassable.

De l’inclassable – et de l’insaisissable, du fait d’une ironie souriante étendue à tous les aspects du travail. Car cet art, qui assume avec malice l’anachronisme de ses sujets, puisés au sein d’un répertoire qui serait celui des Métamorphoses d’Ovide, de la grande peinture des XVIe et XVIIe siècles et du tout premier romantisme, est en même temps entièrement contemporain dans le choix de son principal matériau, la pâte polyester, et affirme ainsi un sens du décalage tourné contre l’époque aussi bien que contre lui-même. Et de fait, face aux « amphigouris », écritures indéchiffrables et dénuées de sens inscrites sur le socle des statues, ou aux titres de tableaux abracadabrantesques, le spectateur a bien du mal à savoir à quoi s’en tenir.

Conçu par Jean Claus lui-même, en outre accompagné de textes parus pour certains sur son site (intitulé « Bulletin des éphémérides provinciales. Observations météorologiques à corps perdus », ce qui ne s’invente pas), cette monographie revient ainsi, section après section correspondant au découpage de l’œuvre, sur les quarante années de carrière d’un artiste qui s’est affirmé sur le tard, et aujourd’hui âgé de quatre-vingts ans.