Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques
EAN13
9782200346546
ISBN
978-2-200-34654-6
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
Collection
Le temps des idées
Nombre de pages
368
Dimensions
22 x 14,4 cm
Poids
415 g
Langue
français
Code dewey
320.019
Fiches UNIMARC
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Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques

De

Armand Colin

Le temps des idées

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Document de couverture : Hogarth, The Polling (1754).

Photo : © Bridgeman-Giraudon, St Louis Art Museum, Missouri, USA.

Maquette intérieure et mise en page : Dominique Guillaumin

© Armand Colin, Paris, 2007.

Internet : http ://www.armand-colin.com

9782200254988 — 1re publication

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www.centrenationaldulivre.frCollection
Le temps des idées

Guy Hermet, L'hiver de la démocratie

Jan-Werner Müller, Carl SchmittAdmiration

Admirer, être admiré : une source de jouissances sans prix mais aussi d'aveuglements sans remède.

L'admiration des peuples pour leurs dirigeants n'est pas le trait dominant des temps démocratiques. Quand elle se manifeste chez les citoyens, elle demeure souvent tiède, volatile, confinée à des secteurs étroits de l'opinion. Elle semble n'avoir quelque chance de se répandre largement que post mortem comme si la disparition définitive d'un dirigeant, contesté de son vivant, effaçait soudain les ombres de son passé ou dissipait les risques d'un soutien trop généreusement accordé. Au contraire, on voit cette admiration déferler, et même dégénérer en adulation, dans la plupart des dictatures, ces régimes dont on aimerait croire qu'ils reposent seulement sur la force brutale. En fait, presque tous réussissent, malgré leurs crimes, à susciter de vrais élans d'adhésion voire d'enthousiasme. La mort de Staline a fait pleurer des millions de Soviétiques ; celles de Mao Zedong ou de l'ayatollah Khomeiny ont déclenché des réactions hystériques de désespoir. De tels sentiments sont considérés comme indécents dans les démocraties authentiques.

Léautaud : « C'est une force que de n'admirer rien. » (Journal littéraire, 1954)

Pourtant, l'admiration n'est pas nécessairement une émotion suspecte. Il est normal que des représentants, entièrement dévoués au bien public, suscitent ce mélange de respect et d'affection discrète qui récompense les vertus civiques. Normal également que des citoyens engagés sans réserve dans la défense de causes justes reçoivent ce témoignage de leur valeur morale. En fait, ce n'est pas toujours ce genre de considérations fort louables qui motive l'admiration. Les militants la réservent soigneusement à ceux de leurs dirigeants qu'ils croient capables de les conduire à la victoire ; les électeurs aux personnalités capables de les subjuguer par leur talent oratoire, leur charme personnel. En politique on admire surtout le succès ou l'habileté, beaucoup plus rarement le désintéressement ou le courage de dire la vérité. De toute façon, c'est ailleurs que, de nos jours, le besoin d'admirer se manifeste avec le plus d'intensité. Ce sont les sportifs, les artistes de variétés, les grandes figures de l'humanitaire qui le drainent le plus largement, ainsi que, dans des milieux plus restreints, le talent des plus brillants écrivains, savants ou managers. Il y faut, certes, quelques qualités indiscutables mais aussi beaucoup d'exposition médiatique et, dans le cas des personnalités politiques notamment, quelque savoir-faire dans la construction d'une image attractive.

Nietzsche : « Le succès a toujours été le plus grand des menteurs... ; le grand homme d'État, le conquérant, l'inventeur apparaissent déguisés dans leurs créations jusqu'à en devenir méconnaissables ; [...] les "grands hommes" tels qu'on les honore, sont de méchantes petites rhapsodies composées après coup ; dans le monde des valeurs historiques la fausse monnaie règne. » (Par-delà le bien et le mal, IX, 269)

Le besoin d'admirer existe partout, fondé sur le plaisir de s'identifier à plus grand, plus fort ou plus brillant que soi. Mais dans une démocratie, il est constamment contrarié par les lois de la vie politique. Plus on occupe le devant de la scène, plus on devient vulnérable aux tirs croisés de tous ceux qui prennent ombrage de la réussite. Les opposants ne se font pas faute de débusquer les travers et zones d'ombre de leurs adversaires, de souligner leurs erreurs, leurs faiblesses ou leurs fautes. Quant aux médias, non contents de jouer le rôle de caisse de résonance au profit de ces opposants, ils exercent aussi leur capacité autonome de démystification par une réserve de bon aloi, des commentaires sourcilleux ou une critique corrosive. À fortiori, s'ils sont spécialisés dans la satire ou la caricature. La presse écrite, la radio, les journaux télévisés seraient si ennuyeux sans cette prise de distance minimum à l'égard du pouvoir ! Pour le public, il est alors plus difficile d'admirer sans retenue quand il dispose d'une information plus large et plus diversifiée ; quand il découvre des « révélations » fâcheuses pour le héros, quand il entend les sarcasmes qui le poursuivent assidûment, même s'ils sont injustifiés. Avec le Canard enchaîné, le « Bébête Show », les « Guignols de l'Info », la démocratie, en effet, a inventé les « machines à décroire ».

Gracián : « L'admiration est l'étiquette de l'ignorance [...] Comme l'excellence est rare, il faut mesurer son estime de peur de passer pour homme de peu d'entendement. » (L'Homme de cour ; Maximes 18 et 41)

Pour admirer, observait Spinoza, il faut faire appel aux facultés de l'imagination. Il n'y a pas d'hommes politiques exceptionnels, il n'y a que d'exceptionnelles « projections », au sens psychologique du terme. Encore faut-il savoir les susciter à son profit. Naturellement les situations de crise y contribuent comme l'a montré la génération des dirigeants démocratiques de la Seconde Guerre mondiale : Churchill, de Gaulle, Roosevelt, considérés post mortem comme des icônes ou des « monstres sacrés ». Les gestes politiques à forte charge symbolique favorisent aussi ce type d'investissement émotionnel qui fait taire les sarcasmes : on pense à l'ancien chancelier allemand, Willy Brandt, s'agenouillant devant le monument commémoratif de l'insurrection du ghetto de Varsovie, en décembre 1970. À plus petite échelle, dans le milieu un peu clos des militants, le loyalisme de parti trouve souvent un exutoire dans une fidélité déférente aux dirigeants qui savent incarner leurs espérances, sinon leurs illusions. L'admiration confère alors de puissantes ressources politiques ; elle affermit des soutiens, consolide des allégeances, instaure une relation inégalitaire de confiance qui favorise la dévotion des fidèles tandis qu'elle donne une marge d'initiative précieuse à ceux qui en sont les heureux bénéficiaires.Ambition

Indispensable à qui veut arriver quelque part, mais suspecte à tous ceux qui n'osent s'aventurer en chemin.

L'ambition est au politicien ce que l'appel du divin est aux moines, l'amour du profit aux managers, l'odeur du sang aux grands fauves. Un ardent besoin de se réaliser en réalisant quelque chose. En politique, le véritable ambitieux cherche à se faire un nom, dans l'arène locale ou dans la grande histoire, avant même de savoir quelles en seront les voies, les moyens ou les objectifs. Cette formidable libido donne une santé de fer, bien nécessaire pour résister aux formidables machines de guerre pointées sans relâche sur qui connaît ses premiers succès et ne sait pas masquer la formidable ampleur de ses appétits de pouvoir. « Couvert de cicatrices » (Nicolas Sarkozy), l'ambitieux survit, grâce à elle, à toutes les attaques, repart à l'assaut malgré toutes les défaites. Il est celui qui subordonne au désir d'arriver tous les autres plaisirs de la vie, comme s'il s'agissait du seul moyen efficace de combler quelque blessure secrète.

Hobbes : « Je place au premier rang, à titre de penchant universel de tout le genre humain, un désir inquiet d'acquérir puissance après puissance, désir qui ne cesse seulement qu'à la mort. [Cependant] le désir d'une vie facile et de la volupté dispose les humains à obéir à une puissance commune [...] » (Léviathan, I, 11)

L'ambition est souvent associée au vocabulaire de la faim. Elle est, à juste titre, réputée insatiable. Un mandat, obtenu après une longue convoitise, ne satisfait pas longtemps l'ambitieux authentique ; il lui faut se donner de nouveaux objectifs. D'où l'inconvénient paradoxal d'avoir connu très tôt une grande consécration : tout repli sur des positions plus médiocres est vécu avec amertume. Cruel destin que celui d...
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