Jostein

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Lectrice passionnée, mariée, mère de trois adolescentes. J'aime surtout les romans contemporains et je lis quelques bons policiers.

Solange Bied-Charreton

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13 juin 2014

Une autre vie

Un peu frustrée de ne pas avoir eu le temps de lire le premier roman de Solange Bied-Charreton, "Enjoy" qui a connu un beau petit succès littéraire, je me suis lancée à la découverte de l’auteur avec "Nous sommes jeunes et fiers".
Le style et l’univers de l’auteur sont effectivement remarquables avec des envolées descriptives très contemporaines ( comme par exemple quelques superbes pages définissant la France à un étranger), un habile choix des mots, un regard critique de notre société et un flirt avec le roman moderne voire le surréalisme.

Ivan et Noémie, respectivement 29 et 33 ans sont un couple de parisiens aisés. Elle est enseignante dans une ZEP en banlieue nord, il est mannequin. Ils sont l’image même du couple "Bourgeois Bohême", plein de contradictions. Ils mangent bio, prônent l’écologie, parlent de protection des espèces mais sont un tantinet racistes, roulent en voiture dans Paris et n’hésitent pas à stationner sur les places réservées aux handicapés.
" Ce monde c’était le leur, à la fois d’opulence et de dénuement, de plaisir et de restriction, de profit et d’interdiction."
Bien sûr, ils rêvaient d’une autre vie, d’un retour aux sources, à l’image de la tribu des Penaraks refusant le progrès et la modernité.
Lorsque survient l’accident de travail d’Ivan, l’univers du couple dégringole en pente douce. La peur d’un coma qui se prolonge, la rééducation, le handicap, puis la perte des amis qui, gênés, n’acceptent plus la tristesse de ce couple brisé.
La surconsommation, l’hypocrisie des fêtes, la superficialité des relations amicales deviennent alors insupportables.
" L’importance de la représentation sociale, le crédit apporté aux masques, toute notre vie réelle camouflée dans du faux. Un plan machiavélique pour dominer le monde, y parvenir avec facilité et en tirer une certaine reconnaissance, comme les deux fouets d’un batteur électrique fondent la paix sociale, obtiennent des résultats grandioses dans le domaine de la cuisine des familles."
Acculés, il faut alors trouver un lieu de vie en accord avec leur nouvelle condition, un lieu où vivre autrement. L’auteur nous entraîne alors dans des alternatives possibles, passant de la société futile et moderne à l’utopie d’un retour à une nature poétique et sauvage.
" On se contentera donc d’imaginer la jalousie de ces esclaves d’eux-mêmes restés en France dans leur tout petit monde devenu un musée géant, en cravate et veste de costume, avec leur souris d’ordinateur, leurs épouses Weight Watchers et leurs enfants sous Théralène."
Un roman ironique, un peu caustique sur le style de vie moderne en France où l’auteur mêle habilement réalité et conte moral.

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20 mars 2014

Cancer : halte au tabou

Dans L’ablation, Tahar Ben Jelloun annonce jouer l’écrivain public pour un ami mais c’est bien un homme conscient du problème qui parle.
Le cancer de la prostate ( comme le cancer du sein pour la femme), arrivé à un certain terme, se traite par la soustraction de l’organe malade. Certains patients, inquiets des conséquences sur leur vie intime préfèrent " la vie même brève plutôt que l’ablation."
Ce chercheur en mathématiques, après l’angoisse des différents examens, opte pour l’ablation de la prostate sur les conseils de son ami médecin. C’est avec beaucoup de naturel, sans aucun tabou que nous vivons ces moments difficiles (examens, opération, suites opératoires) pour tout être humain.
Chaque étape est humiliante, dégradante même si les soignants sont d’un grand naturel. La dépression post opératoire est inévitable et même si le malade évite le mot "cancer" auprès de ses amis, l’isolement finit par avoir lieu.

"Même quand elle ne s’affiche pas, la maladie isole, impose la solitude et le silence."
Pour cet homme " qui a passé sa vie à courir les femmes", ( on retrouve notre Don Juan de L’amour conjugal) ne plus avoir de sexualité est sans aucun doute le plus difficile à assumer.
" La sexualité et l’amour sont deux choses différentes, liées certes, mais pas nécessairement, du moins c’est ce que je croyais jusqu’à mon opération."
Est-ce la raison pour laquelle les souvenirs de femmes sont si présents dans les deux derniers livres de l’auteur ?
" Comment apprécier un Renoir si ta vie sexuelle est un désert." J’ose espérer que c’est encore possible.
La cécité de l’écrivain Jorge Luis Borgès ou la surdité de Luis Buñuel ne sont-elles pas plus affligeantes?
Tel Philip Roth qui accepte mal la vieillesse et la déchéance des corps dans Exit le fantôme, les écrivains n’hésitent pas à aborder ces thèmes qui nous concernent ou concerneront tous, sans aucun tabou.
Et c’est une bonne chose car dans un monde où la publicité affiche des corps sains, jeunes (même pour les produits concernant les personnes âgées), la déchéance des corps, l’humiliation de la perte de fonctions élémentaires sont souvent inévitables.
Le récit est une vision assez exhaustive des différentes étapes de la maladie, du dépistage aux conséquences. Je me serais bien passée des détails de la sexualité du malade mais il était sûrement important de montrer toute l’importance qu’il y portait.
Heureusement, l’auteur a cet altruisme de penser aussi aux femmes atteintes du cancer du sein ou aux enfants malades croisés à l’Institut Curie.
Un essai, qui, même si il n’apprend pas des choses essentielles, est un témoignage nécessaire pour exorciser ce tabou de la maladie et de la senescence.

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22 février 2014

Une seule envie nommée Marlène

Bruno Kerjen est un homme standard. Il fait partie " des mecs qu’on voit sans voir, qu’on fréquente sans aimer". Il travaille à Supelec comme assembleur de cartes électroniques, un métier touché par la crise économique, en perte de vitesse depuis la concurrence chinoise. Sa vie se passe entre son métier où il n’a aucune ambition, son petit logement de Vitry où il contemple une fantomatique tache noire au plafond, reflet de ses sinistres pensées et quelques voyages dans sa Bretagne natale pour voir sa mère veuve depuis peu et son ami d’enfance Gilles, autre célibataire assez rustre et comparse de beuveries.
Sa mère trop attachante et soumise lui a donné le dégoût des femmes et ses activités sexuelles se résument aux conversations pornographiques par téléphone. La méfiance de son père a brimé toutes ses ambitions, suscitant plutôt la honte et la peur de l’échec.

Nina Baraoui construit ainsi à longueur de phrases le portrait d’un anti-héros, symbole de la médiocrité des sociétés modernes. Bruno, " handicapé des sentiments" ressasse son pessimisme, travaille pour éviter l’ennui, s’enferme dans la routine pour ne pas être déçu et regrette la seule femme qu’il aurait pu aimer, Marlène, jadis la plus belle fille de son lycée.
" Marlène incarnait encore ses rêves, son désir, lui qui se sentait desséché, éteint de l’intérieur."
Lorsque Marlène revient en Bretagne, seule avec un enfant de huit ans, sans avoir réussi à devenir la star que sa plastique pouvait lui promettre, Bruno se reprend à rêver. Marlène n’a rien perdu de ses atouts ni de son côté manipulateur et opportuniste.
" Elle faisait partie de ces femmes qui jouaient sur tous les tableaux sans choisir un numéro, mieux valait s’en tenir éloigné. Marlène menait tout droit à la souffrance, c’était un chemin cette fille, un chemin vers un mur, autant s’en défaire avant de s’écraser pour de bon."
L’auteur quitte ici son univers habituel lié à son enfance en Algérie, laissant l’introspection et l’analyse des sentiments pour un récit moderne ancré dans la réalité économique et sociale de notre pays.
Le thème de l’anti-héros n’est pas facile à aborder mais Nina Baraoui parvient à nous intéresser à son personnage. Toutefois, n’eut-il pas mieux valu moins insister sur la vie monotone et solitaire de Bruno et donner ainsi une plus large place à la sensuelle et vénéneuse Marlène et à ces retrouvailles fatales ?

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4 octobre 2013

Amant infidèle blessé

Yunior est le genre d’hommes que toute les femmes exècrent, un horrible "specimen unique de Dominicain". Pas si unique que cela si on lit toutes les histoires. Sur neuf chapitres, il évoque son enfance à Saint Domingue, sa vie de dominicain exilé aux Etats-Unis, ses aventures, le cancer de son frère peut-être encore plus instable que lui.

Ce sont des liaisons éphémères (est-ce à cause de la différence de peau) avec des blanches ( Veronica), avec des "vieilles" (Miss Lora une prof de quarante ans alors qu’il n’en a que seize), avec une bombe comme son "ex", Magdalena, mais à laquelle il ne fait attention qu’au moment où elle le quitte, lassée de ses aventures et ses mensonges.
Doit-on l’excuser à cause d’un père autoritaire, d’un exil difficile aux États-Unis, de la maladie de son frère ? Je n’en ai pas vraiment envie et je jubile quand enfin son "ex" lui fait comprendre la peine d’une rupture.
Maintenant, si on passe sur le caractère du personnage principal et sur l’habitude de l’auteur à insérer dans ses phrases des mots espagnols (en général des mots obscènes), je parviens à entrevoir une certaine tristesse derrière l’humour et même dans l’histoire de Yasmin et Ramon, une belle émotion. Mais, par contre, je ne comprends pas pourquoi au milieu de chapitres entièrement consacrés à la famille de Yunior, il y a cette belle  histoire d’un couple d’éxilés. J’ai supposé que Ramon était le père de Yunior.  Les dominicains semblent avoir une famille aux États-Unis et une autre au pays, comme Ramon et Elvis, l’ami de Yunior.
Il y a bien sûr la douleur de l’exil avec cette pauvre Mami (la mère du narrateur) qui se retrouve isolée dans le froid américain, ce racisme latent , ces conditions de vie assez sordides  tant dans certains quartiers pauvres de République dominicaine que dans les quartiers américains pour " los hispanos".

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30 mai 2013

"Nos désirs nous façonnent" : Respect

Tout ce que vous avez voulu savoir sur la bisexualité sans jamais avoir osé le demander. John Irving détaille avec des descriptions réalistes, naturelles et crues les pensées et relations de personnages à la sexualité différente. Mais, si certains lecteurs pourront être choqués, ce roman est bien davantage qu’un éventail de désirs et amours inavouables.

Le narrateur, Bill ou William, est aujourd’hui un écrivain célèbre de soixante dix ans et il raconte sa jeunesse et son éveil des sens. Elevé chez ses grands-parents jusqu’à l’âge de quinze ans, Il revient vivre chez sa mère et son nouveau beau-père Richard Abbott. Si il adore ce grand-père Harry, toujours prêt à se déguiser en femme pour les pièces de théâtre, il craint davantage les femmes Winthrop, sa grand-mère Victoria, sa mère et sa tante Muriel.
Grâce à Richard qui l’inscrit à la bibliothèque, il découvre la littérature et la sculpturale bibliothécaire, Miss Frost.
" Nos désirs nous façonnent : il ne m’a pas fallu plus d’une minute de tension libidinale secrète pour désirer à la fois devenir écrivain et coucher avec Miss Frost- pas forcément dans cet ordre, d’ailleurs."
Dans la littérature, Bill cherche à comprendre les "erreurs d’aiguillage amoureux" et découvre Dickens (De grandes espérances) et Baldwin ( La chambre de Giovanni). Car si Bill est un adolescent normal qui se découvre, il s’interroge sur son attirance pour son beau-père ou pour Kittredge, étudiant et lutteur de la Favorite River Academy ou pour les femmes aux petits seins telles Miss Frost. Son expérience avec son amie Elaine ne sera pas concluante mais elle restera à jamais sa meilleure amie et confidente.
" Nous avons grandi à une époque où nous étions plein d’aversion pour notre différence sexuelle, parce qu’on nous avait fourré dans le crâne que c’était une perversion."
En Europe, Bill pourra assumer sa sexualité, notamment grâce à la rencontre de l’écrivain Lawrence Upton surnommé Larry ( il n’y a sans doute aucun lien avec le vrai poète anglais du même nom) à Vienne dans les années 60. C’est lui qui lui fera prendre conscience, dans les années 80 de sa neutralité face aux malades du sida. Car la seconde partie du livre traite davantage de l’homophobie de la société et inévitablement des affections liées au sida. Une fois encore, c’est avec une grande précision que l’auteur détaille les signes, maladies et traitements.
" En 1995, pour la seule ville de New York, le sida a tué plus d’Américains que la guerre du Vietnam."
Si Mr Hadley comptabilisait tous les anciens étudiants tués à la guerre, l’oncle Bob fera la nécrologie des amis de Bill morts du sida.
John Irving, en remarquable conteur, nous attache à cette histoire par la densité de ses personnages, le mystère de leur réelle nature et ce fil conducteur de la littérature et notamment du registre de Shakespeare. Le titre du roman est bien entendu une phrase de Richard II de Shakespeare mais on découvre au fil des pièces de théâtre mises en scène par Richard Abbott, les personnages et thèmes de l’auteur anglais.
" Est-ce une fille ou un garçon, telle est la question ?"
Le jeune William apprécie ces adultes qui l’ont guidé dans sa jeunesse. Il aime profondément son grand-père pour sa tolérance, son amitié fidèle et son goût des vêtements féminins. Il reconnaît en Richard un guide notamment vers la littérature. Il est reconnaissant à la mère d’Elaine de l’avoir aidé à s’assumer et à guérir ainsi son défaut de langage. Et bien évidemment, il sera éternellement amoureux de Miss Frost, cette énigmatique bibliothécaire qui l’a préparé à affronter les éventuelles attaques des hommes.
Comme tous les livres de John Irving, c’est un roman dense, captivant parce que j’avais envie de connaître le mystère des parents de Bill, la réelle nature des personnages énigmatiques comme Miss Frost ou Kittredge. On y trouve de l’humour, de la rage et énormément d’émotions.
Alors que se célèbrent en France les premiers mariages homosexuels, le roman d’Irving va faire couler beaucoup d’encre. Je vous en recommande la lecture car c’est aussi un plaidoyer pour la tolérance, le respect des différences.

" Ne me fourre pas dans une catégorie avant même de me connaître."

" Je vous prierai de ne pas me coller d’étiquette."