Notre-Dame du Nil - Prix Renaudot 2012

Scholastique Mukasonga

Gallimard

  • Conseillé par
    20 février 2013

    Perché dans les nuages, à 2493 mètres, tout près de la source du Nil, le lycée Notre-Dame du Nil accueille la future élite féminine de la nation rwandaise. Les chastes jeunes filles, issues des meilleures familles, viennent y décrocher un diplôme qui plus sûrement qu'un travail, leur permettra de trouver un mari dans les hautes sphères de la société. Soeurs catholiques, professeurs belges et coopérants français leur inculquent les valeurs démocratiques et chrétiennes qui conviennent dans un pays qui a mené à bien sa révolution sociale. Harmonieuse en apparence, l'ambiance est pourtant délétère. La société rwandaise est divisé entre Hutus et Tutsis et ce clivage a pénétré cet antre du savoir. Les élèves hutus y sont largement majoritaires et n'hésitent pas à humilier les jeunes filles tutsis qui ne sont là que par la grâce d'un quota imposé par l'état. La plus virulente est Gloriosa qui rêve d'une carrière politique au sein du Parti du peuple majoritaire et aime à rappeler à Virginia et Véronica qu'elles ne sont que des cafards qui n'ont rien à faire à Notre-Dame du Nil. Autour d'elle, une cour s'empresse même si Immaculée ne partage pas ses positions et que Modesta est tiraillée par ses origines métisses.
    Plus proche voisin du lycée, Monsieur de Fontenaille, un vieil original, est bien le seul à regretter le temps où les Tutsis étaient les maîtres du pays. Persuadés qu'ils sont venus d'Egypte et descendent des pharaons, il cherche son Isis dans le visage des élèves tutsis. Déesses pour les blancs, parasites pour les Hutus, les Tutsis du lycée essaient d'obtenir leur diplôme sans faire de vague pour qu'un jour elles ne soient plus ni hutus ni tutsis mais simplement des "évoluées".

    Situé après l'indépendance du Rwanda et avant le génocide de 1994, le roman de Scholastique MUKASONGA dépeint les prémisses d'une haine larvée qui deviendra une guerre.
    Cela commence comme une chronique bon enfant qui décrit la vie dans un lycée de jeunes filles catholique : l'arrivée en grande pompe des élèves le jour de la rentrée, le pèlerinage annuel à la Vierge du Nil, les amitiés, les cours, les professeurs...Mais très vite, on perçoit un malaise. Gloriosa, élève crainte et respectée, leader politique en devenir, cristallise les travers d'un pays qui se veut indépendant et démocratique mais favorise les Hutus, le "peuple majoritaire". On ressent l'opposition, la rivalité, la haine même que les Hutus portent aux Tutsis et qui va aller en grandissant tout au long de l'année scolaire. Les petites remarques acerbes deviendront des insultes plus crûes et dégénéreront en haine raciale, appel à la violence, voire au meurtre. Pendant que les élèves hutus appellent à l'épuration ethnique, rameutent leurs troupes et organisent le massacre, les blancs ferment pudiquement les yeux sur un conflit dont ils ont pourtant été les instigateurs, ayant bouleversé le système clanique traditionnel en place à l'époque de la colonisation et favorisé à tour de rôle un camp au détriment de l'autre, au gré d'obscures alliances politiques.
    Roman fort, beau et puissant, Notre-Dame du Nil n'est malheureusement pas issu de la seule imagination de son auteure. Elle-même rescapée du génocide, Scholastique MUKASONGA s'est inspirée de ses propres souvenirs pour décrire un pays qui se déchire toujours. Et pourtant, on sent tout l'amour pour le Rwanda dans ce livre avec ses rites, ses traditions, ses croyances, ses paysages, ses gorilles...Un pays magnifique qui a connu l'horreur et qui mériterait une paix solide et durable.


  • Conseillé par
    2 juillet 2012

    Au Rwanda, le lycée de Notre-Dame du Nil veut former l’élite féminine de demain. Il s’agit surtout de préserver la virginité de ces filles qui feront l’objet de mariages glorieux ou juteux. Pour une famille rwandaise, une fille représente une richesse précieuse. « Elle était assurée que sa fille recevrait au lycée Notre-Dame du Nil l’éducation démocratique et chrétienne qui convenait à l’élite féminine d’un pays qui avait fait la révolution sociale qui l’avait débarrassé des injustices féodales. » (p. 28)

    Perdu dans les montagnes et situé tout près de la source du Nil, l’établissement accueille un quota de filles issues de l’ethnie tutsie, mais cela ne plaît pas à toutes les élèves. Le microcosme du lycée reproduit naturellement la société rwandaise et les élèves Hutu dédaignent leurs camarades tutsis. Parmi elles, Gloriosa se voit déjà à la tête du parti du peuple majoritaire. Mais il y a aussi Immaculée la rebelle, Modesta la métisse, Véronica la rêveuse et Virginia qui ne pleure jamais.
    Non loin du lycée, le vieux M. de Fontenaille est obsédé par l’ethnie tutsie et il est persuadé d’avoir trouvé l’incarnation de la déesse Isis. « Dans leur exode […], les Tutsi avaient perdu la Mémoire. Ils avaient conservé leurs vaches, leur noble prestance, la beauté de leurs filles, mais ils avaient perdu la Mémoire. Ils ne savaient plus d’où ils venaient, qui ils étaient. » (p. 72) Fontenaille en est persuadé : les Tutsi sont les descendants des pharaons noirs de Méroé. Étrangement, tout le monde croit détenir sa propre vérité sur les Tutsi, mais ce sont encore eux les plus lucides. « J’ai aussi appris que les Tutsi ne sont pas des humains : ici nous sommes des Inyenzi, des cafards, des serpents, des animaux nuisibles ; chez les Blancs, nous sommes les héros de leurs légendes. » (p. 153) Leur histoire est aussi mystérieuse que le sang mensuel des femmes et la statue de Notre-Dame du Nil. Est-elle une ancienne vierge belge peinte en noir ? Une Tutsi ? Une Hutu ? Une déesse égyptienne ?
    Le Rwanda veut écrire sa propre histoire loin des Belges et loin des blancs, mais les dérives ne sont pas loin et même les plus jeunes en conscience. « Mon père dit qu’on ne doit jamais oublier de faire peur au peuple. » (p. 186) Dans ce pays nouvellement débarrassé de la domination européenne, tous les moyens sont bons pour s’emparer du pouvoir et le garder : « Ce n’est pas des mensonges, c’est de la politique. » (p. 194) Rescapée des massacres qui ont ensanglanté le Rwanda, l’auteure mêle avec talent l’histoire légendaire des Tutsi de l’époque pharaonique à l’histoire contemporaine. On voudrait croire que le roman n’est que fiction, mais les accents de la vérité ne trompent pas. Ce qui passe dans l’enceinte du lycée Notre-Dame du Nil n’est pas un beau catéchisme ou une légende antique, ce n’est que l’expression banalement terrible d’un peuple qui se perd en croyant affirmer son identité.