Le pain de l'exil

Zadig Hamroune

Table Ronde

  • 27 août 2015

    C'est un beau voyage dans les rémanences de l'enfance. Le narrateur évoque les réveils auprès de sa mère, une fois le père parti à l'usine. L'habitude quotidienne de se réfugier au creux du lit conjugal et écouter la mère qui raconte son histoire: un conte transmis par sa grand-mère, unique et à chaque fois différent. Zadig Hamroune nous confie le livre de sa tribu gravé à même la peau. Le kabyle, cette langue qui dit la terre et le sang, la langue archaïque et sacrée permet un voyage à rebours au pays de l'enfance dans la Méditerranée. Nous suivons les pas de Nahima et Adan, contraints de quitter la terre natale, la Kabylie. De la guerre d'Indépendance, des massacres de Sétif et de Guelma, les souvenirs restent intacts.

    "Tannirt avait décidé de se mettre en marche avant l'aube, pour éviter d'alimenter les médisances dont l'écheveau poisseux se dévidait dans les silences des conversations."

    La réalité cruelle d'une terre baignée de sang dans laquelle la mère de l'auteur tente de trouver une issue au désordre et à la confusion inhérents à la violence; et de cette émotion vitale, elle se nourrissait pour survivre au chaos. Les destins sont livrés dans un style onirique propre au merveilleux du conte oriental.

    "Elle repoussa le coffre contre le mur de la la longue pièce étroite, sous le motif peint avec un mélange de henné, d'urine et de sang, une grande main de fatma, paume tendue dans un geste d'offrande, dont le filigrane était comme les lignes de la main, entrelacs de sillons, calligraphie d'un destin inaccompli, ni individuel, ni communautaire, mais universel et sacré."

    Pour la mère de l'auteur, seule compte l'oralité. L'écriture n'est qu'un simulacre, l'illusion d'une éternité. Elle ne peut se manifester que furtivement, aucun réceptacle ne peut la contenir...sauf peut-être le bijou publié ce jour sous le titre Le Pain de l'exil. Le pain dont il a été nourri et qu'il pétrit à sa manière pour conserver intacts les traditions et la mémoire des siens et tous leurs mots tus.

    Le kabyle est l'homme libre, l'éternel nomade Jugurtha dont le visage porte l'empreinte d'autres doigts que ceux du conte, ceux de la terre dont il était pétri.

    "Le temps est un poète qui distille l'histoire au compte-gouttes et élide les voyelles inutiles."

    Sublime roman paru aux éditions La Table ronde. Vermillon, Août 2015.